Les BTS ACSE du lycée Reinach parcourent les campagnes pour mieux creuser le sillon de leurs projets professionnels
Du Trièves au Québec !
Encouragés par les soutiens régionaux aux projets éducatifs (« Découverte Région »), par les soutiens financiers du Crédit Mutuel, par l’appui de l’Office Franco – Québecois pour la Jeunesse (OFQJ), par la participation du lycée et rendus possibles par les ressources dégagées par leurs différentes actions, les étudiants du Lycée ont eu la possibilité depuis le mois de septembre 2017 de découvrir des systèmes agricoles différents et des projets d’entreprise particulièrement stimulants et riches d’enseignements !
L’aventure a débuté dans le Trièves,
territoire de 632 km² situé à 20 km de l’agglomération grenobloise, abrite une population d’un peu moins de 10 000 habitants, soit une densité de 16 hbt/km², loin de la moyenne nationale ! Un territoire rural perché sur un plateau de moyenne montagne, aux pieds du Vercors et du Dévoluy, composé de 27 communes rassemblées en communauté de communes.
Malgré la présence proche d’un grand centre urbain, cet espace reste préservé et encore marqué par la présence d’une agriculture dynamique et diversifiée. Nous sommes loin du modèle savoyard construit autour de filières collectives sous signes officiels de qualité (AOP/IGP) qui peut avoir pour défaut l’extrême spécialisation des exploitations dans ces filières très protectrices et rémunératrices.
279 chefs d’entreprises agricoles occupent 23% de la surface globale. Bien entendu, comme dans de nombreuses régions de montagne l’élevage occupe une place importante : 47% des entreprises. Néanmoins, les cultures végétales sont encore très présentes, ce qui produit un paysage varié et de grande qualité.
Faute de filières structurées et valorisantes, les exploitants ont souvent bâti des démarches en circuits courts qui sont une réalité pour 40% des entreprises du territoire : pour la moitié d’entre elles, cette forme de mise en marché représente même plus de 75% de leur chiffre d’affaires.
Préservée de l’intensification des pratiques agricoles de nombreuses exploitations se sont converties en « agriculture biologique » : les surfaces gérées de cette façon représentent près de 25% des surfaces agricoles ! La filière laitière pourrait trouver son salut dans la constitution d’une filière biologique. En grande culture, les exploitants se sont organisés collectivement avec trois organismes stockeurs, une minoterie et des boulangers pour valoriser leurs productions. Tout cela concourt à stimuler des installations avec des projets diversifiés (9-10 installés par an).
Deux jours durant les étudiants, accompagnés de leurs enseignants, ont pu observer cette réalité agricole, découvrir le métier de chef d’entreprise et porteur de projet, appréhender l’organisation agricole avec la rencontre d’Hervé Weisbrod technicien de la Chambre d’Agriculture en charge de l’animation du groupe d’agriculteurs (Sitadel : Sud Isère Territoire Agricole et Développement Local) et de la mise en relation avec les communes et le groupement de communes dans la perspective de projets agricoles et de territoire durables.
Quatre exploitations ont fait l’objet de visites, autant d’occasions pour eux de se familiariser avec la démarche de l’ « analyse stratégique de l’entreprise agricole » :
Un territoire riche d’expériences et d’innovations : ce n’est pas un hasard si le centre de vulgarisation et de formation à l’agriculture biologique (« Terres Vivantes ») s’est implanté dans cet espace. Les étudiants ont ainsi pu profiter des enseignements des pratiques agro-écologiques lesquelles s’adaptent aux contextes locaux.
Ces deux journées ont donné lieu à des travaux et restitutions impliquant des disciplines variées : économie et gestion, agronomie et écologie, zootechnie et géographie ! Deux journées qui ont constitué une première étape dans cette année de formation et de réflexion sur le projet professionnel des jeunes.
Fin février-début mars 2018, la deuxième étape les a transportés à plus de 6000 km : au Canada, dans la Province de Québec !
Pendant 8 jours les étudiants ont eu l’occasion de découvrir l’hiver canadien…. clément à ce moment là !
Dans ce vaste pays de 10 millions de km², peuplé de 37 millions d’habitants, la province du Québec représente 1,5 million de km², trois fois la superficie de la France, et 8,5 millions d’habitants (25% de la population canadienne).
Durant leur périple, de Montréal à Québec, les étudiants ont eu l’occasion de découvrir des systèmes agricoles très différents.
L’exploitation laitière (38 VL) et maraichère de la Ferme Langlois à Neuville, gérée depuis 12 générations par la même famille sur un même site s’étendant sur 350 ha.
La partie laitière de l’exploitation assure le revenu pour l’hiver : nourries à l’ensilage et maïs grain, les vaches Prim Holstein et Jersey assurent la réalisation d’un quota de 35 kg apportés à la coopérative Agropur (la plus grande coopérative laitière du Canada avec plus de 12 000 producteurs) dont la vente rapporte entre 68 et 70 cents par litre (0,46€/l). Sur les 350 ha, 150 sont voués au maraîchage et à la culture du maïs doux de Neuville, très réputé. La ferme est idéalement située, bien exposée et étagée, ce qui permet un échelonnement des productions dans le temps. Médé Langlois insiste sur la nécessité d’être « intelligents pour ne pas détruire la terre ». Il rappelle la sagesse des populations natives qui pratiquaient la « culture des trois sœurs » (maïs-haricots-courges). Le maraîchage est une culture familiale ancienne et dès les années 1950, alors que la mode n’était pas encore là, l’exploitation vend en direct, ce qu’elle fait toujours pour ses productions végétales. L’été, « la job » est intense : il faut récolter tous les jours les légumes pour les vendre à maturité, frais et croquants. 70% des 200 000$ (132 000€) de chiffre d’affaires de la partie maraîchère de l’entreprise sont vendus frais. Ce qui n’est pas vendu frais est transformé, ce qui permet aussi d’assurer les ventes en hiver et de limiter les pertes, soit 30% du chiffre d’affaires. Quinze salariés sont nécessaires pour assurer toute l’activité, dont 10 à la seule récolte journalière.
L’exploitation céréalière de 1 700 ha en culture biologique de la Ferme Bonneterre, en circuits longs, à l’équipement impressionnant.
Cette ferme est organisée sur deux sites et produit en agriculture biologique depuis 2 ans. Jusqu’à il y a un an l’entreprise disposait d’un atelier d’engraissement de gros bovins de boucherie. Mais au Québec, dans le contexte canadien et nord-américain, c’est une activité difficile : « ceux qui persistent dans l’activité gèrent des troupeaux de 8 000 bêtes ». Au maximum de son activité, l’exploitation occupent sept salariés (dont 2 permanents) qui s’ajoutent aux deux dirigeants.
Les productions sont diverses : maïs pour la consommation animale et humaine, du blé, de l’épeautre, du soja, pois fourragers et pois pour la consommation humaine, ainsi que du chanvre… La production est diversifiée et les rotations organisées pour satisfaire le cahier des charges de l’agriculture biologique contrôlé par Ecocert. L’entreprise produit sous contrat pour de grandes firmes comme La Milanaise, Haribec ou encore Bonduelle.
Une activité de stockage et de tri des grains est aussi effectuée par le biais d’une autre société, tout comme le transport et l’épandage…
Une exploitation au format XXL qui fait le pari de l’agriculture biologique. Pour Sylvain Raynault, copropriétaire avec son frère Richard, dans ce système : « on se sent maître de notre réussite comme de nos échecs. Avant, c’était le vendeur d’intrants (engrais et pesticides) qui décidait de tout ». Le raisonnement économique est une justification du choix : les marchés se développent rapidement aux Etats-Unis, au Canada, comme en Europe. Les prix se tiennent à un bon niveau et si l’agriculture conventionnelle autorise des rendements sensiblement plus élevés, ils se font au prix fort des intrants et de la dépendance aux fournisseurs. L’argument santé explique aussi le choix de la transition vers la culture biologique.
La Ferme L’Heureux (« 4e génération ») aux 600 Vaches laitières, 12 robots de traite et près de 1 100 hectares (400ha de foin, 320 ha de maïs, 100 ha de soja et 140 ha de blé, principalement) pour assurer l’autonomie alimentaire du troupeau….Une exploitation qui ne cesse de grandir et dont le projet est encore de croître ! Un quota de 780 kg de matière grasse (soit près de 8 millions de litres de lait standard à l’année, 22 000 par jour en moyenne !) acheté au prix de 16 000€ le kg ! Dans la voix de Joseph (qui a achevé récemment ses études de gestion et technologie d’entreprise agricole au CEGEP de Lévis-Lauzon), une certaine fierté : « on est une des cinq plus grosses fermes du Québec » ! 16 unités de main d’œuvre sont nécessaires pour faire fonctionner quasiment 24h/24h la ferme. La décision de la croissance a été prise en 2002 et il n’y a pas à ce jour de limite définie. Toutefois, les perspectives d’augmentation de la production ne vont plus se faire sur l’élévation du nombre de vaches mais sur la productivité laitière : pour parvenir à cet objectif, les leviers sont la génétique, l’alimentation et l’ambiance des bâtiments dans lesquels évolue le troupeau. Le prix du lait est bien payé : aux environs de 0,75 dollar (0,5€) le litre, mais en baisse ces dernières années. Là encore une ferme aux dimensions impressionnantes qui repose sur une organisation juridique complexe : 4 compagnies servent de pilier à cette croissance accélérée. Croissance récompensée en avril 2018 par « Les Grandes Distinctions Desjardins qui visent à reconnaître des entreprises qui sont membres Desjardins et qui ont su se démarquer dans leur secteur d’activité soit par la mise en place de stratégies gagnantes, d’actions innovatrices et pour leur contribution dans la communauté ».
Ce voyage a aussi été l’occasion de découvrir des productions particulières et emblématiques du Québec comme le sirop d’érable.
Le Québec est le leader mondial de la production de cet aliment recherché pour ses propriétés alimentaires.
Deux érablières ont été visitées sur les 5 000 que compte le Québec : deux projets de vie.
Une première, « Les Sucreries DL », située sur un flan de montagne à la porte des Appalaches, dirigée par une exploitante nouvellement installée, compte 4 500 entailles. Pour Natacha, il s’agit d’un nouveau projet de vie, une reconversion professionnelle, un défi, après avoir été dirigeante d’entreprise industrielle. Une expérience bien différente de celle de l’érablière Boily située sur l’ile d’Orléans. Dans cette érablière traditionnelle aux 6 000 entailles, il s’agit de perpétuer une tradition familiale et d’obtenir un complément de revenu. Dans les deux cas, la vente directe est privilégiée. Au Québec, près de 20% des exploitations pratiquent la vente directe, chiffre proche de celui de la France, mais bien supérieur à la moyenne canadienne : environ 12%.
Le séjour a été l’occasion d’échanges avec de jeunes étudiants en agriculture du CEGEP de Lévis-Lauzon.
Inversement, les étudiants français ont relayé les craintes des éleveurs bovin-viande de leur pays qui voient dans cet accord un risque pour la viabilité économique de nombreux éleveurs hexagonaux avec, là aussi, des enjeux environnementaux et d’aménagement du territoire importants. Durant ces échanges, les jeunes français ont aussi fait valoir les vertus des signes de qualité et de garantie de l’origine : quand les producteurs agricoles sont suffisamment investis dans les filières relevant de ces labels et certifications, grâce à une gestion collective des productions qui sécurisent les marchés, les exploitations peuvent atteindre de bons niveaux de valorisation pour leurs productions, comme c’est notamment le cas dans les Savoie. Ces signes sont encore peu développés au Québec comme l’a reconnu Marjolaine Mondon du CARTV (Conseil des appellations réservées et des termes valorisants). Si les exploitants sont peu intéressés par ces systèmes, c’est que les modes de mise en marché les protègent pour le moment : c’est le cas en production laitière. Toutefois, il est des cas où il faut recourir à ces signes d’identification de la qualité et de l’origine : c’est le cas pour les activités vinicoles ou cidricoles ; c’est aussi le cas pour le maïs, avec la reconnaissance très récente du « maïs sucré de Neuville » (2017).
Partir, parcourir plus de 6 000 km, pour découvrir des expériences professionnelles c’est bien. Mais, cela a aussi été l’occasion de découvrir un autre pays, une autre culture, un autre mode de vie : traverser le Saint Laurent au milieu des blocs de glace, visiter le musée des civilisations du Canada (l’histoire des peuples Natifs, de la colonisation occidentale, du Canada moderne, émancipé de la Royauté britannique…), patiner au cœur de la ville de Québec, déambuler au milieu des gratte-ciel de Montréal, traverser les écosystèmes nordiques ou tropicaux en quelques pas au Biodome, régaler les yeux du spectacle des chutes gelées de Montmorrency et l’estomac des spécialités culinaires québécoises, etc…. Bref, de l’aveu de tous, un séjour réussi, un séjour riche d’enseignements et de rencontres, ….